« Un paysage est le fond du tableau de la vie humaine », écrivait l’essayiste du XIXe siècle, Bernardin de Saint-Pierre, dont la statue trône aux Jardins des plantes de Paris. C’est un peu cette histoire que nous a racontée Alain Faragou, à la tête de l’agence niçoise qui fête cette année ses quarante ans d’existence et qui passe le flambeau à son fils César.
Fut un temps, pourtant, l’aménagement du paysage était relégué au dernier rang des lots d’appels d’offres : le lot « espaces verts ». Un groupe nominal qui fait hérisser les poils d’Alain Faragou : « Nous ne sommes pas là pour dessiner du vert sur des carrés prédéfinis par les architectes ou les bureaux d’études ! Nous devons avoir une réflexion plurielle, entière, de comment notre travail peut – et doit ! – se mettre au service d’un tout. Le paysage aujourd’hui est une vraie composante de l’aménagement. » César Faragou d’ajouter : « Notre rôle est d’être les architectes du paysage. C’est pourquoi nous nous immisçons dans les projets dès leur genèse. Pour mieux les appréhender et proposer quelque chose qui corresponde à la fois à l’histoire dudit projet et à la valeur ajoutée que peut apporter notre approche. »
Bureaux spacieux, la dizaine de concepteurs qui travaille au sein de l’agence située au port de Nice, bénéficie d’un cadre très agréable, avec une jolie terrasse bien aménagée (le contraire serait un comble) qui met assurément l’équipe dans une ambiance bucolique. Tant mieux car l’agence a la réputation du trait de crayon créatif, réfléchi et soigné qui lui a valu de nombreux prix. Alain Faragou travaille tout projet en lequel il croit et pour lequel on veut bien le laisser imaginer le meilleur (à coûts maîtrisés) et ce, que ce soit aux côtés de grands noms de l’architecture comme Jean Nouvel ou Fujimoto, d’agences moins réputées ou simplement de particuliers.
Projets publics et privés
Nice Meridia, le Port Canto à Cannes, la Citadelle Saint-Elme à Villefranche-sur-Mer, le Grand Arénas… L’agence œuvre autant sur le design du mobilier que sur les études de grand paysage (études visant à apprécier l’impact et les orientations environnementales et spatiales d’un projet), en passant par les grands aménagements urbains.
Faragou a signé nombre de paysages sur la Côte d’Azur mais aussi à Paris, Lyon, Marseille, Monaco, l’île Maurice, en Chine, au Bénin… Le patron a roulé sa bosse, cependant, si tous ces voyages ont enrichi son coup de crayon et élargi son champ de vision, il confie « Nous sommes ici dans une région bénie des dieux. Que ce soit au niveau du climat ou bien du sol, il existe sur la Côte d’Azur de véritables petits mondes intérieurs, héritages de voyages, qu’il convient de préserver, ou de faire renaître. »
L’histoire de la Côte d’Azur, il la connaît par cœur, d’ailleurs, chacun de ses chantiers est conçu en toute connaissance du milieu et des choix végétaux qu’il est possible de faire (ou d’éviter).
Tribun dans l’âme, Alain Faragou parle paysage comme Monet parlerait peinture, comme quelque chose qui ne serait pas que visuel, quelque chose qui raconterait une histoire. Celle de l’agence débute en 1978 à Villefranche-sur-Mer. Alain Faragou y installe ses bureaux avec deux collaborateurs. Le début d’une longue et belle aventure. Aujourd’hui, quarante ans plus tard, le père remet à son fils César les clés d’une agence à la réputation bien taillée, avec une véritable signature, entre préservation des territoires, histoire et modernité.
Un projet au Bénin leur a directement été commandé par le président du pays, pour le village d’Ouidah, plaque tournante de l’esclavagisme entre les XVIIe et XIXe siècles. Et là encore, pour Alain Faragou : « Il était évident que notre aménagement devait rendre visible ce fait culturel pour en faire un moteur économique. »
Des « satellites » pour enrichir l’équipe
Si l’on demande aux père et fils pour quelles raisons, institutionnels ou privés sonnent à la porte de leur agence plutôt qu’à d’autres non moins talentueuses, la réponse semble difficile mais Alain Faragou se lance : « Peut-être parce que nous travaillons chaque dossier avec des historiens, des ingénieurs, des fontainiers…, des tas de satellites qui viennent enrichir nos équipes. »
Avec un autre pilote dans l’avion Faragou, le cap sera-t-il le même ? Oui. Le nouveau dirigeant souhaite continuer d’être « Un acteur majeur, encore plus qu’aujourd’hui ». et vise un CA de 1,4 ME pour l’exercice en cours. Alain Faragou va épauler son fils encore quelque temps, car la passion du métier ne se tarit pas et la complexité de certaines études en cours, sur la quarantaine actuellement confiées à l’agence, nécessite une lecture à plusieurs mains. César, lui, reçoit cette transmission avec toute son énergie et compte bien « conserver l’ADN de l’agence qui est de fabriquer le paysage avec les outils de l’architecture ». Défi à relever pour cette agence qui devrait, encore longtemps, faire partie du paysage.
« La machine à rêver », c’est le nom donné à l’un des projets à l’agence par l’Automobile Club de Monaco. Et cela résume la fonction donnée à l’aménagement paysager façon Faragou.
Pour l’opération Joia Meridia dans la plaine du Var, l’un des derniers concours remportés, l’équipe a créé une promenade potagère… au 6e étage ! Inspirés du cours Saleya, ils ont imaginé, sur les hauteurs de cet ensemble immobilier de 75 000 m² de plancher, pas moins de 4 000 m² de jardins fertiles « pour mettre en évidence les richesses du territoire et créer du lien social, explique César Faragou. Il fallait ici trouver une réalité culturelle et urbaine dans un enchevêtrement d’une multitude d’architectures. »
César Faragou, architecte de formation, ne compte pas modifier le fer de lance de l’agence. « Mon expérience apportera un point de vue global sur les projets à venir, un regard peut être différent mais certainement intéressant pour les espaces à créer. »
Faire parler les territoires
Pendant qu’il crayonne sur ses notes, son père explique pourquoi il faut utiliser l’histoire et la géographie dans la conception d’un aménagement, pourquoi il faut faire parler les territoires, pourquoi « un paysage bien intégré est qualitatif et participe à l’économie touristique ». Et comment, en travaillant sur la reconstruction des jardins de la villa Jane Andrée, ancienne propriété de l’Aga Khan III au cap d’Antibes, il a redonné sa superbe à cette bâtisse des années 1900, grâce à un aménagement paysager fondé sur les desseins des propriétaires successifs de la villa. Le résultat ressemble à un tableau de maître… de deux hectares, empreint de voyages et de rêveries.